12.12.2012

Neige

Neige, c'était un peu le monde à l'envers, un hivers sans fêtes, sans feu, sans chaleur ni bains moussant, ni bains de foule et ni soleil. Neige, c'était un pauvre ciel tout blanc, incertain, une tragédie où rien ne se passait, une tragédie suspendue, entre ce qui fait rire et ce qui tue.
Cela faisait bientôt sept mois qu'elle était en psychiatrie.
Elle s'était tranchée les veines et mangeait végétarien. Elle, comment dire: - votre fille a de sérieux problèmes d'élocution. Psychomoteurs, aussi. Et des lunettes en culs de bouteilles. Et, chose curieuse, elle avait la tête perpétuellement penchée sur la gauche, reposant sur son épaule qui remontait, et lui faisait voir le monde sous un angle différent. Oblique. Fuyant. Neige n'était pas farouche: on ne lui en avait jamais donné l'occasion.

*


Un jour, un gros roumain très moustachu arriva dans le service. Il parlait à peine français, respirait fort, et crachait allègrement dans le cendrier de la salle fumeur. Deux heures ne s'étaient pas écoulées, qu'il avait déjà tripoté toutes les patientes du service. Il y eut beaucoup de cris, de bruits de gorge, de gloussements terrifiés ; toutes les femmes avaient peur et toutes les femmes se sentirent unies par les liens de l'outrage.
On s'offusqua en groupe, il y avait matière à échanger.
Du coup, ces guili-guilis mal venus vinrent aux oreilles du chef de service qui, vingt et cinq minutes plus tard, était là et demanda que l'on monte - immédiatement et plus vite que ça ! -un bûcher sur la petite place jouxtant les bâtiments des longs et moyens séjour. Ceci fut fait, et, à 22h30 précise, le salaud fut brûlé vif, sous les acclamations de tous les patients, infirmiers, psychiatres du service. On applaudit. La catharsis était belle et nécessaire.

 Et Neige ?

*


Elle n'était pas là, pas avec les autres ; était restée dans l'unité, dans sa chambre, et lissait inlassablement les plis de ses vêtements, la tête toujours penchée, triste et seule au monde. Le violeur l'avait ignoré, passant à côté d'elle sans la voir C'est qu'elle aurait bien aimé, elle, être agressée sexuellement, qu'on la touche, qu'on lui lèche le cou, qu'on lui tire doucement les cheveux, avant de lui faire promettre de ne rien dire.
Elle l'aurait fait.
Elle aurait enfin pu partager un secret avec quelqu'un. - Il me semble que votre fille a de sérieux problèmes d'intégration. Quelqu'un. Une personne de plus de plus pour être deux. Aux yeux du pervers, toutes les femmes abusées avaient une certaine valeur. Pas elle. Elle était Neige, Neige restait sous son manteau, et rêvait de fondre pour un homme. N'importe qui. Quelqu'un. Mais non. Pour ses parents, elle avait toujours été sacrée. Même à bientôt trente-deux ans. Et le monde l'avait comme... condamné à une peine de pureté. A perpétuité.

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