1.09.2013

Les nuages







Ça commence par une respiration, hachée mais tranquille,
aérée,
par un doigt posé sur le front, dessinant de lentes arabesques.
Ça commence par le doigt par la paume et par la respiration de sa mère, quelque part entre l'éveil et le sommeil. Quelque part mais tout près de lui, son haleine et l'odeur de sa peau.
Ça commence par lui la tête posée sur les cuisses de sa mère, lui l'enfant d'elle, elle la mère de lui, les deux visages sont tournés l'un vers l'autre.
L'un pour l'autre présents.
Les deux visages entre l'ombre et la lumière.


maman tu m'en veux?


hier il a laissé tomber sa couette du haut du lit
superposé, il avait froid, il a dû descendre et affronter tout ce noir.
La peur lui nouait les tripes, il ne savait pas dire de quoi
mais il avait peur. Le noir n'a pas de forme. Le noir c'est l'inconnu et
c'est comme si sa couette était tombée dans un autre pays.
Il a pris sa couette et vite vite il est remonté et puis il s'est enveloppé serré fort et n'a laissé dépasser que son nez. Son cœur battait toujours mais il n'aurait su dire
s'il était mort ou vivant.


de quoi mon chéri?



hier elle a reçu ce coup de fil. Elle a répondu et c'était le Blond. Le Blond qui gueulait. Le Blond bourré. Qui la menaçait de venir pour tout casser.
Elle lui a calmement interdit de venir, l'a laissé postillonner ses menaces
et sa virilité
puis elle a raccroché.
Ensuite, elle a fermé tous les volets de la maison, elle a verrouillé la porte d'entrée, elle est allée mettre de l'eau à bouillir puis s'est assise sur une chaise du salon, très droite, les mains posées
sur ses jambes resserrées. Et puis elle a fait silence, dans le noir, elle a fermé les yeux en attendant l'orage


ben je sais pas moi... de tout.


il s'est réveillé tout mouillé. S'est rendu vite compte qu'il avait fait pipi au lit.
Comme à chaque fois. Comme
toutes les nuits et, comme toutes les nuits, il a eu peur d'être engueulé. Il ne comprenait rien à elle, sauf sa peau et son odeur. Ça c'était vrai. Il était sûr de sa peau, de son odeur, de ses cheveux.
Mais le reste, il ne comprenait pas. Parfois quand il pleurait, elle se mettait en colère, d'autres fois il riait et elle se mettait à le consoler. Il avait faim, elle le mettait sur le pot. Soif, elle le couchait.
Et là... maintenant qu'il
avait fait pipi
au lit? Qu'allait-elle dire? Il s'attendait au pire. Le pire c'était quand elle le regardait un peu, puis se détournait sans un mot. Le pire c'est quand il n'existait pas.


non. Non je ne t'en veux pas de tout.
Tout ce qui est s'est bonnement fait.
Il ne faut pas avoir peur.
Je te protège comme Dieu nous protège.
Il ne faut pas avoir peur.


l'eau était chaude à présent. Elle a sorti un sachet de thé. Elle a mis le sachet dans le bol l'eau dans le bol a pris le bol dans ses mains et l'a laissé tomber. Du coup secousse. Dans tout le corps.
Du coup secousse et cris a crié si fort
qu'il a sursauté est descendu de son lit trempé et a couru jusqu'au cri. Sa peau
ses bras
ses bras son odeur
son odeur ses cheveux
ses cheveux ses yeux son nez ses bras sa bouche et ses doigts
son ventre et ses jambes et ses pieds et ses
cheveux son nez son rire oh ses yeux noirs tout ça toute cette peau
toutes ces oreilles devant lui, toute cette mère recroquevillée
par terre, devant lui.
Elle a levé la tête et l'a regardé droit dans les yeux. Elle tremblait. Son corps s'est relâché un peu, elle a lâché un pet puis a commencé à s'uriner dessus. Tout en marmonnant des mots qu'il ne pouvait pas comprendre.
Alors il a ri (pour le pet).
Puis il a pleuré (pour le reste)
Et dans cette petite maison aux volets clos, dans cette cuisine mal éclairée, dans ce monde clos, dans son corps à lui, dans son corps à elle, tout s'est mis à bouillir, monter, crever les plafonds et les torses, monter encore, toujours plus, monter jusqu'au ciel béant, et tout s'est soudainement illuminé, l'ombre de lui de elle de tout cet amour de toute cette
violence de toutes ces colères tout a soudain mué
et s'est changé en lumière.


d'accord maman. Je t'aime.
Dis...
Qui s'occupe de Dieu?
C'est qui qui le protège quand il a peur?


les nuages

1 commentaire:

  1. Je suis passé par ici via les I.D. de Claude Vercey.
    Je n'ai pas eu le temps de lire tous les articles mais je reviendrai.

    Laurent D.

    P.S. Si la dernière question du texte est un piège, nous tombons tous dedans...

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